Lorsqu’elle reprit conscience, elle était paralysée. Elle ressentait pourtant son corps. Elle était allongée sur une table. Elle entendait des bruits, des sortes de claquements légers d’abord, puis aigus. Elle trouvait ce son agréable, rassurant, sans savoir pourquoi.
Elle tenta d’ouvrir les yeux pendant une minute.
Abandonna. Cela lui demandait trop d’effort. Elle essayerait à nouveau plus tard :
— Ne vous inquiétez pas Capitaine Pontiard, restez calme.
Elle voulait répondre, mais ses lèvres ne bougeaient pas.
— Ne faites pas trop d’effort, vos sens vont revenir, mais actuellement nous allons profiter de votre état de post-hibernation pour extraire votre tumeur.
Le capitaine Pontiard se sentait heureuse à l’idée d’être secourue. Elle aurait voulu tout de même parler de la procédure avec le chirurgien avant qu’il ne l’opère, mais elle n’y parvenait pas.
— Nous devons vous garder consciente et être en mesure de communiquer avec vous. Arrivez-vous à bouger une partie de votre corps ? Cela sera un signal entre vous et nous.
Elle essaya de bouger ses jambes, sa main, sa bouche. Mais il lui semblait qu’elle ne parvenait à rien.
— Votre index a fait un léger mouvement. Vous devez toujours pouvoir nous entendre et sentir tout votre corps. Si vous ressentez quoi que ce soit de gênant, refaites ce mouvement.
Régulièrement, le chirurgien lui demandait comment elle allait. Pour elle tout se passait bien. Elle entendait toujours de nombreux claquements.
Il lui sembla que plusieurs heures avaient passées, même si elle n’était pas certaine d’être capable de déterminer le temps qui s’était écoulé :
— Voilà, c’est terminé, nous allons lentement vous ramenez parmi nous.
Elle se réveillait doucement. D’abord, elle constata qu’elle pouvait bouger ses doigts, puis elle sentit la chaleur du lieu et les odeurs, une senteur agréable et duveteuse.
Elle ouvrit les yeux et distinguait que trois petites personnes floues l’entouraient. L’une d’elle portait une blouse et les deux autres semblaient porter des gilets de laine.
— Merci, parvint-elle à exprimer.
— Mais de rien capitaine Pontiard, nous sommes tellement heureux de vous voir et que l’opération se soit bien terminée.
Sa vue revenait doucement.
— Comment m’avez-vous trouvée ?
— Nous n’avons pas dû chercher bien loin.
Lorsqu’elle parvint à avoir une image nette, elle crispa ses mains. Les têtes qui l’observaient étaient poilues et possédaient de longues oreilles pendantes.

— Mon dieu… Je vois des visages… de … de … lapins, il y a un problème.
Les chirurgiens et les deux autres qui paraissaient être ses assistants firent des bruits de claquements puissants et aigus qui forcèrent le capitaine Pontiard à se protéger les oreilles.
— Pardon capitaine, nos rires sont sans doute désagréables pour un humain, nous sommes effectivement des lagomorphes. Nous sommes les descendants des lapins qui se trouvaient dans votre vaisseau.
— Quoi ?
— En fait, plusieurs millions d’années se sont écoulés depuis votre hibernation. Nous sommes des lapins qu’on pourrait dire évolués.
— Des millions d’années ! C’est impossible.
— C’est vrai que l’évolution peut paraître magique après tant d’années.
— Mais, la survie, comment avez-vous pu survivre ?
— Nous avons atteint une sorte d’équilibre entre espèces végétales et animales.
— Et comment parlez-vous ma langue ?
— C’est grâce à l’ordinateur de bord, Bruce possède la connaissance suffisante. Malheureusement, nous avons dû réapprendre seuls les bases de beaucoup de sciences, car Bruce, comme vous le savez, est absolument ignare dans la plupart des domaines. Imaginez-vous que nos ancêtres pensaient que Bruce était un Dieu ?
Les claquements désagréables recommencèrent.
Pontiard observait les lagomorphes les yeux écarquillés.
— Je dois être en train de rêver. Je me suis projetée dans le récit de Lewis Caroll.
— Non, vous constatez seulement le fruit de la graine que vous avez pris le soin d’arroser il y a des millions d’années.
— C’est incroyable.
Elle s’assit sur le bord de la table et tendit sa main.
— Et bien merci infiniment.
Une patte velue et moelleuse qui ressemblait à celle d’un homme serra la sienne.
— De rien, par contre, nous ne pouvons pas vous rajeunir, ni vous donner l’immortalité, votre vie sera aussi courte que celle d’un être humain de votre temps.
Nous pouvons, au mieux, vous remettre en stase.
La capitaine réfléchit un instant à cette proposition.
— Sinon, je crains que vous ne soyez obligé de vivre en notre compagnie pour le restant de vos jours.
— Bien sûr, je ne vous demande pas des miracles, comment vous appelez-vous ?
— Je suis le professeur Stitch et voici mes assistants Flocon et Sissi.
Elle sourit de la coïncidence et se réjouissait de vivre avec cette curieuse colonie poilue. Cet hasard venait de la convaincre de rester avec eux.
Elle s’habituerait sans doute aussi à leurs rires perçants.